Les Petits champions de la lecture à la mairie du 14e arrondissement de Paris
Un lieu prédestiné
Place Denfert-Rochereau, autrefois place d’Enfer, le gros lion de Bartholdi monte placidement la garde en cette matinée précocement printanière du 5 mars 2025. Les Petits champions de la lecture ont rendez-vous à deux pas, à la mairie du 14e arrondissement, place Ferdinand-Brunot. Une plaque, apposée sur la grille du square du même nom, informe qu’il s’agit d’un ancien maire de l’arrondissement de 1910 à 1919, linguiste et philologue de son état, auteur d’une « Histoire de la langue française des origines à 1900 ». Ces épreuves de la finale départementale des Petits champions ne pouvaient pas se dérouler sous de meilleurs auspices.
Sous le regard de Marianne
En face du square, le bâtiment de la mairie ne manque pas d’allure, avec sa large façade blonde typique de l’architecture municipale parisienne de la IIIe République. Non plus que l’escalier d’honneur et son tapis bleu-de-France bordé de palmes, qui mène à pas feutrés jusqu’à la salle des mariages. La vaste pièce elle-même incarne toute la solennité de l’idée républicaine, avec son plafond à caissons, ses murs sang-de-bœuf monogrammés RF et sa Marianne trônant dans sa niche dorée, surmontée de la nef de la Ville de Paris et de la date de construction, 1880.
Étrangement, il semble qu’à l’époque l’idée de mariage était résolument champêtre, en tout cas pour une mairie parisienne, si on en juge par les sujets des fresques du peintre Maurice Chabas (1862-1947) qui ornent les murs : un couple d’amoureux à la campagne, un banquet de noces en plein-air, une famille nombreuse en pique-nique agreste… Qui a dit que le 14e était l’arrondissement le plus provincial de Paris ?
Rive droite, rive gauche
Mais ce sont bien des petits parisiens et parisiennes qui ont rendez-vous ce matin pour exercer leur éloquence sur les textes de leur choix : 11 candidates et 7 candidats représentant 10 écoles, majoritairement situés Rive gauche (6e, 14e, 15e arrondissements). Seules trois candidates ont dû courageusement franchir la Seine pour venir des 11e et 12e arrondissement défendre l’honneur de la Rive droite. Enfin, avec ses 10 représentantes et représentants, le 14e est venu en force jouer à domicile. Plus surprenant, bien que le jeu soit ouvert aux CM1 depuis seulement deux ans, les élèves de ce niveau sont très majoritaires ce matin (13 élèves).
De l’autre côté du miroir
Alors que les candidates et candidats continuent d’arriver escortés de leurs parents et de leurs enseignants, les membres du jury discutent entre eux des modalités de la finale. Au centre de la table, immanquable car bien plus jeune que les autres jurés, trône Nélia, 10 ans, en CM2, lauréate départementale de l’édition 2024. Pour passer de l’autre côté du miroir, comme aurait dit Alice, cette amoureuse de la lecture, qui dit adorer « lire devant un public de gens que je ne connais pas », s’est consciencieusement préparée à son rôle de jurée en prenant connaissance des fiches d’évaluation auprès des enseignantes qui l’avaient préparée pour l’édition passée.
Autour de Nélia, un aréopage de professionnels du livre et de la culture. Voici Julie Cabot, adjointe à la mairie du 14e en charge de la culture et de l’égalité femmes-hommes. Patricia Farnier, elle, est cofondatrice du site MyFairBook, qui s’attache à valoriser les livres promis au pilon et vient d’ouvrir un secteur jeunesse. Quant à Laura Ferrara, responsable adjointe de la section jeunesse de la médiathèque Marguerite Duras dans le 12e arrondissement, elle se dit fière de travailler pour « la plus grande bibliothèque municipale de la ville de Paris ». Mélanie Menuge, responsable presse des magazines Biblioteca et particulièrement de Bibiloteca Jeunesse, rappelle que sa maison est partenaire du jeu cette année. Enfin Jean Poderos, auteur et directeur des Éditions Courtes & Longues (Arts et Jeunesse), a déjà participé aux Petits champions comme juré en Seine Saint-Denis.
Ordre alphabétique
Après les remerciements d’usage et le rappel du déroulé de l’évènement, c’est autour des jeunes lectrices et lecteurs de s’avancer à tour de rôle, par ordre alphabétique – un arbitraire qui a au moins l’avantage de ne favoriser personne a priori. C’est donc Alice — pas celle de Lewis Caroll mais celle de l’école Saint-Maur, 11e Arr.— qui se lance la première, avec un extrait du Magicien d’Oz de Lyman Frank Baum (Gallimard Jeunesse). Après un début logiquement timide, elle prend de l’assurance à mesure que l’assistance fait silence pour s’adapter à l’acoustique de la salle.
Puis se succèdent Alix, Amélie, Andrea, Anzar… jusqu’à Raphaël (pas de Zoé aujourd’hui), dans une réjouissante diversité. D’autant qu’à cet âge charnière de la fin de l’enfance, les physionomies sont aussi diverses que les tenues et les caractères : la plus grande, Daphné, pourtant en CM1 (école Delambre, 14e Arr.), domine de deux bonnes têtes la plus petite, et certains assument déjà un style ado quand d’autres tolèrent encore de s’habiller selon les souhaits de leurs parents.
Trois minutes de magie
À chaque nouvelle lecture, la magie opère : en trois petites minutes, c’est une nouvelle personnalité qu’on découvre, qui se mobilise entièrement pour convoquer une intrigue, un décor, un style, un lexique, une atmosphère… Certains changent de voix avec virtuosité au gré des dialogues ; d’autres servent leur texte avec une diction parfaite en se jouant des liaisons les plus périlleuses. L’un est dans le contrôle de bout en bout, quand la suivante est manifestement tellement prise par son texte qu’elle nous entraîne irrésistiblement dans son imaginaire… Il y a du stress et de la désinvolture, de la maîtrise et du lâcher-prise, de l’effort et de l’aisance, mais surtout du plaisir, et quel talent !
Bien sûr, il y a des prestations qui sortent du lot : la candeur et la spontanéité d’une lecture d’Alice au pays des merveilles qui précipite l’auditoire dans le terrier du Lapin blanc, des allitérations acrobatiques parfaitement négociées (« ses griffes crissaient sur la glace »), de la fougue et de l’engagement au service de la conviction, un souci particulier de la qualité des silences, si rare…
Deux styles, deux victoires
En son for intérieur, chaque juré a sans doute ses favoris et favorites. Mais grâce à la grille d’évaluation commune, aux critères suffisamment précis pour bannir toute partialité et départager des prestations de haut niveau, tous s’accordent à la fin pour distinguer deux lauréats : Khalifa, « régional de l’étape » puisque représentant l’école Boulard (14e Arr.) voisine de la mairie, qui a su rendre dans un style très énergique et habité toute la fantaisie espiègle du Gentil petit diable de Pierre Gripari (Gallimard Jeunesse) ; et Louise, de l’école Stanislas (6e Arr.), qui a conquis l’auditoire par sa lecture très incarnée servie par une élocution limpide d’un texte difficile, La Famille Rochecourt : les pinceaux d’Édouard, de Sophie de Mullenheim (Mame). Les voilà désormais en route pour la finale parisienne second tour le 11 avril prochain.
Qu’en retiennent les heureux élus ? Khalifa : « Je me suis senti timide au début, mais comme j’aime vraiment beaucoup ce texte, tout à coup je me suis dit “que je gagne ou pas, ce n’est pas important“ et j’ai juste continué pour le plaisir ». Et Louise : « J’ai découvert ce livre à la bibliothèque de l’école ; je l’aime particulièrement car il me fait penser à ma situation personnelle. Un peu stressée d’abord, j’ai été ensuite complètement emportée par ma lecture ». Le plaisir de lire, on vous dit !
NDLR : et puisqu’aucun des petits champions et petites championnes non cités dans l’article n’a démérité, un grand merci aussi à Ava, Baptiste, Castille, Cindy, Gaspar, Israa, Kader, Léonie et Nélia, qui ont dignement représenté leurs écoles Reuilly (12e Arr.), Alésia, Alain-Fournier, Hippolyte-Maindron, Severo (14e Arr.) et Porte-Brancion (15e Arr.)
Patrick Gloux pour Les Petits champions de la lecture
