Il a fait chaud à Paris, ce 25 juin 2025, particulièrement place Colette, dans le 1er arrondissement. Et pas seulement au thermomètre, malgré l’alerte canicule. Car ce jour-là, la Comédie-Française accueillait la Grande finale des Petits champions de la lecture, dont nous avons suivi pas à pas les candidates et candidats. Reportage au cœur de la passion pour la lecture.
Traitement de faveur
Habituellement, les comédiennes et comédiens du « Français » accèdent à leur « maison » par l’entrée des artistes, située du côté du Palais-Royal. Pour les Petits champions, le prestigieux établissement a consenti à déroger au protocole, et c’est par le péristyle et l’escalier d’honneur que les 15 jeunes lauréates et lauréats font leur entrée en mode VIP, escortés de leurs parents et suivis de près par les autrices et auteurs qui les auront coachés individuellement pour cette ultime manche du jeu.
L’ambiance est solennelle. Le marbre du sol au plafond, les moulures dorées, les portraits d’artistes prestigieux des siècles passés arrachent quelques commentaires aux jeunes ébahis. « C’est grand ! C’est beau ! C’est qui ? C’est… trop ! » À tour de rôle, les lauréats et leurs accompagnateurs gravissent les larges marches sous le regard sévère d’une effigie de la Tragédie.
La montée des marches
De toute part déjà, caméras et micros traquent les expressions, suivent les faits et gestes, capturent les réactions des candidates et candidats. Il y a les timides, qui serrent farouchement la main de leurs parents. Les audacieux, qui escaladent d’un pas décidé les degrés de marbre comme autant d’échelons vers la célébrité. Les enthousiastes, qui n’ont pas assez d’yeux pour embrasser le décor ni de dents pour sourire à leur bonheur et leur fierté d’être là, tout simplement.
Et il y a de quoi ! Car, comme on le leur soulignera tout à l’heure, s’ils sont bien encore 15 en lice, ils ont été plus de 200 000 cette année en France et à l’étranger à tenter leur chance et exercer leurs talents pour cette 13e édition du grand jeu de lecture à voix haute.
Et déjà les premiers discours…
Ce sont donc quinze authentiques championnes et champions, vétérans des étapes locales, départementales et régionales, qui se retrouvent avec leur suite au grand foyer Pierre Dux. L’autrice Clémentine Beauvais, marraine de l’édition, prononce l’accueil officiel, suivie des représentants de la Comédie-Française et des organisateurs du jeu. Puis c’est la présentation du déroulé de la journée, avant une première collation bien méritée.
Autour des grandes tables du foyer, certains restent concentrés, leur livre ouvert sur la table, d’autres s’évadent quelques instants sur leur console de jeu. Dans quelques heures, ils en sont bien conscients, ils seront sur la scène du « Français ». Progressivement, d’attentive et réservée au début, l’assistance se fait de plus en plus vivante et sonore : ce sont bien des enfants. Il est temps de bouger.
Visite privée
Heureusement voici venu le moment de découvrir le saint des saints : la visite guidée de la Comédie-Française. « Est-ce qu’on peut filmer ? » ose une aspirante influenceuse. Mais il est demandé que les téléphones soient remisés pour mieux profiter de la visite, que les enfants exécutent sans leurs parents pour leur permettre de faire connaissance.
Petit à petit, la curiosité prenant le pas sur la réserve, le stress et l’émotion, la glace se brise au fil des échanges et des affinités, et le groupe se constitue en véritable troupe. « Tu viens d’où ? » « Vous êtes arrivés quand ? » « Tu connais Paris ? » « Tu lis vraiment ou tu sais ton texte par cœur ? » « T’aimes bien ton livre ? Et ton auteur, il est cool ? »
La première étape du tour est pour les velours rouges de la grande Salle Richelieu. Les enfants se coulent dans les fauteuils jugés « trop confortables ! » pour ces jeunes corps aux jambes encore en pleine croissance. Habilement, la conférencière musarde avec son jeune public, fait découvrir le lieu en suscitant les questions plutôt qu’en leur assénant des faits. La hauteur du plafond, l’étagement des balcons jusqu’au poulailler tout là-haut questionnent : « mais on ne doit rien voir ni rien entendre de là-bas » ! Et la réponse détaille l’organisation d’un théâtre à l’italienne.
Un peu de tactique
La demi-pénombre de la salle suscite des interrogations sur la lumière, et sur la question de l’adresse au public. Personne n’a vraiment l’expérience du « quatrième mur », même si certains ont déjà goûté au théâtre, sur les planches ou dans la salle. La guide rassure, donne des trucs : « regarder tout droit, ne pas chercher à repérer ses proches ». Les questions se font plus tactiques : « Où sera placé le jury ? Et si on se trompe, est-ce qu’on aura le droit de recommencer ? » Prenant le relais, une membre de l’équipe organisatrice tranquillise les plus inquiets.
Le décor présent sur le plateau — de magnifiques panneaux noir et blanc, un paysage hivernal, un lac frangé d’arbres dénudés — intrigue et intimide. « Il sera masqué par le dispositif scénique le temps du jeu », rassure leur accompagnatrice, qui précise que c’est celui du spectacle Une mouette, d’après Tchekhov, dans une mise en scène d’Elsa Granat et une scénographie de Suzanne Barbaud, donné le soir même après leurs propres prestations.
Comme les pros
La conférencière souligne : « Les statuts de la Comédie-Française réservent aux seuls comédiennes et comédiens de la Compagnie le droit de jouer sur ce plateau. Personne d’autre au monde n’a ce privilège. Seule exception : vous, les lauréats des Petits champions de la lecture. » L’effet est garanti, leur attention lui est désormais totalement acquise.
Un technicien vient rompre momentanément le charme. Direction le plateau par la mythique Loge n°1, celle des ultimes raccords de maquillage avant l’entrée en scène. C’est le moment de l’essai micro, aussi important pour fixer les réglages techniques que pour apprivoiser cette grande bête de salle et sa gueule rouge béante, prête à les engloutir… Sauf que pas du tout ! Un à un, les enfants s’avancent, décidés, attendent avec un flegme de pro qu’on ajuste le pied de micro à leur hauteur, et envoient avec aplomb deux-trois phrases sonores pour la balance. Ça promet pour la suite !
Un malade pas si imaginaire
Et la visite se poursuit pour aboutir au clou du spectacle : le fauteuil de Molière dans sa cage de verre. Grande impression. Le mauvais état du revêtement du meuble ne choque pas, au contraire, « sinon ce ne serait pas vraiment le siège sur lequel Molière s’est assis ». La trace des siècles, la stature du grand dramaturge et comédien se font palpables. La magie opère, et la proximité de ce fauteuil d’infirme où Molière souffrant, ultime clin d’œil du destin, joua pour la dernière fois sa pièce Le Malade imaginaire il y a 250 ans, laisse un moment sans voix ces jeunes du 21e siècle. Jusqu’à ce que quelqu’un énonce la question essentielle : « Quand est-ce qu’on mange ? »
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Patrick Gloux pour les Petits champions de la lecture