Les Petits champions de la lecture se sont associés aux Nuits de la lecture pour organiser, les 23, 24 et 25 janvier 2025, pour une sélection de classes d’Ile-de-France et de Normandie volontaires, les finales « écoles » du jeu dans le cadre exceptionnel du château de Versailles. À l’aventure de lire à voix haute devant un public inconnu et un jury de personnes étrangères à l’école, les élèves candidats, leurs camarades et leurs enseignantes ajoutent celle de la visite du château et de ses jardins. Une journée d’immersion au cœur de l’âme française.

Il est 9 heures 30 ce jeudi 23 janvier 2025, le ciel est bleu au-dessus de Versailles, le soleil d’hiver allume les ors de la grille d’honneur et blondit les façades de l’aile des Ministres. Rendez-vous dans l’aile sud du château de Versailles pour retirer les accréditations et assister aux finales entre les candidats des écoles Küss de Paris (75) et Pallu du Vésinet (78), qui désigneront les participantes et participants aux finales départementales.
Dans les pas de Molière…
À l’excitation propre au jeu de lecture à voix haute et en public, s’ajoute donc pour les élèves des classes participantes, le prestige d’être accueillis dans un lieu d’exception, hautement symbolique du rayonnement de la langue française, où s’illustrèrent en leur temps Molière, La Fontaine ou Madame de La Fayette.
…et de Goscinny
Aujourd’hui, auteurs et autrices en vogue s’appellent plutôt, entre autres, Anne Pouget et Monsieur Tan, ou pour les « classiques », René Goscinny et J.K. Rowling. Mais la prestance et l’éloquence des orateurs et oratrices auront aujourd’hui autant d’importance que jadis pour séduire et convaincre un auditoire presque aussi impitoyable que les courtisans du Grand Siècle.
Dans l’auditorium du château de Versailles, nef contemporaine de bois blond logée dans les combles du pavillon Dufour, on procède aux derniers essais de micro et à la balance. Sur le plateau ont déjà pris place les membres du jury de professionnels de la Culture : Adèle Castelain, de la Comédie-Française, Camille Fiorèse, de la DGESCO / ministère de l’Éducation nationale, Caroline Gaillard, chargée de communication au château de Versailles et Marine Masure, responsable du récolement des collections au château de Versailles.
Entrée des artistes
Bientôt, un roulement de pieds et un pépiement enthousiaste envahissent les gradins. C’est l’arrivée des candidats et de leurs camarades de la classe de CM1-CM2 de Marine Taillandier de l’école Küss, à Paris (13e arrondissement). Exclamations, commentaires à mi-voix fusent, bientôt calmés par l’enseignante qui donne les dernières consignes.
L’excitation monte. On attend encore l’école Raspail, de Maisons-Alfort (94), qui participe au jury à raison d’une seule voix collective, selon le dispositif propre à ces finales « écoles » à Versailles. À leur tour, les candidats de l’école Raspail seront jugés par les élèves de l’école Pallu, du Vésinet (78). Puis en fin de matinée, ce seront les élèves de l’école Küss (75) qui évalueront les candidats de l’école Pallu.
Pendant que l’école Raspail s’installe, sont rappelés les chiffres de l’édition 2024-2025 du jeu : plus de 200 000 participants représentants près de 8000 classes en France et dans le Monde, et 100 finales pour l’édition spéciale « Nuits de la Lecture » !
Et c’est le début de l’épreuve. Après le gag désormais classique de la présentation sur grand écran qui n’en fait qu’à sa tête, place au direct : un lecteur ou une lectrice, un livre, un micro… et la magie de la lecture. Pour « Küss », la dream team aligne successivement Christiana, Émile, Guy Joane, Louise, Marouane, Paul, Soline et Veronica. Les performances se suivent et ne se ressemblent heureusement pas du tout : des voix posées et d’autres exaltées, des intonations chantantes ou contenues, de l’ampleur, du rythme, de la véhémence, des fins de phrases qui s’affolent dans les aigus…
Trois minutes pour convaincre
À chaque lecture, c’est un nouveau petit théâtre qui se fait et se défait en quelques phrases incarnées par une toute jeune personne soudain habitée par son texte et portée par le public, supporteurs ou jury, qui ne manque pas de réagir aux moments forts de la prestation. Huit candidats, trois minutes chacun, c’est si court, c’est si peu !
Personne n’a démérité. Il y a les langues déliées, pour qui le texte coule comme de source ; les interprètes, qui s’approprient tant les mots de l’auteur ou de l’autrice qu’ils en oublient le livre pour mieux le mimer ; les orateurs et oratrices, qui ont l’attitude et la diction persuasive de ceux qui veulent convaincre et séduire… Quel est pour chacun le rôle joué par le pur plaisir de lire ? Par la joie de monter sur scène ? Par l’envie de donner le meilleur de soi-même ?

And the winner is…
Et voici déjà le moment redouté de la délibération. Qui sera le lauréat ou la lauréate, qui ira défendre l’honneur de la classe à la finale départementale ? C’est Marouane finalement qui se distingue pour porter les couleurs de son école. Réactions et réflexions se répondent dans les gradins : « c’est trop bien ! » « Il a trop de chance » ! La chance, Marouane, lui, n’y croyait pas vraiment. D’un naturel discret, pris de court par son succès, il est un peu interloqué et ressent comme une étrangeté d’être soudain désigné comme petit champion.
Enseignante ou coach de vie ?
Après une telle intensité, les esprits en surchauffe ont besoin de prendre l’air. Direction les jardins du palais pour une visite guidée menée au pas de course. Dans les vastes allées qui mènent depuis le Grand Canal vers Trianon, les langues vont bon train pour commenter l’épreuve. L’une des huit à s’être produits sur scène, un peu frustrée de n’être pas l’élue, voudrait bien connaître « son classement » pour savoir si elle est passée loin ou pas de la consécration. La maîtresse tempère : « Tu es sûre de vouloir savoir ? C’est si important ? Et si tu étais la dernière, est-ce que ce serait grave ? Vous étiez huit aujourd’hui pour représenter la classe, et vous avez toutes et tous été applaudis, parce que vous étiez formidables ». De l’art de défroisser les jeunes égos, et d’entretenir une cohésion de classe qui est sortie renforcée de la préparation de l’épreuve, de la participation de tous au jeu, de la désignation des candidats comme « champions » de toute la classe, de toute l’école.
Un rôle de jurés pris très au sérieux
Une préparation véritablement collective, avec lectures devant d’autres classes de l’école et apprentissage de l’évaluation de ses camarades, qui a formé les élèves à assurer sereinement leur mission de jurés. « Ils ont déjà sélectionné leurs propres champions au sein de la classe ; ils ont déjà utilisé le formulaire d’évaluation pour apprécier d’autres lecteurs, selon des critères précis. Ils se sont préparés à juger objectivement, dans la bienveillance, et ils prennent ce rôle très au sérieux », souligne l’enseignante, qui poursuit : « Leurs critiques sont toujours positives, et ils ont à cœur de toujours accompagner leurs remarques d’encouragements. « T’as bien mis l’intonation », « tu nous as fait rire » ; « tu devrais articuler plus » ou « regarde-nous plus quand tu lis ». Et si c’est Marouane qui, pour aujourd’hui, est sorti du lot, c’est la classe entière qui remporte la victoire de la solidarité et de la motivation.
Mais la matinée n’est pas terminée : il reste encore aux élèves de « Küss » d’aller écouter et évaluer les candidates et candidats de « Pallu ». Or dans son enthousiasme à faire découvrir les jardins de Le Nôtre aux petits parisiens, le guide les a entraînés du côté des grilles de Trianon, à un bon kilomètre et demi de l’auditorium ! Il faut allonger le pas pour ne pas faire attendre « Pallu ».
Malgré près d’une heure de marche soutenue dans les pattes — et l’approche de l’heure fatidique du déjeuner, le moment venu l’attention est au rendez-vous. Dans les gradins réservés aux petits jurés, les délibérations sont farouches pour départager « leurs » deux lauréats et confronter leur choix à celui des jurés adultes.

Parité dans la République des lettres
Car, à l’issue de cette manche aux lectures une nouvelle fois étonnantes de brio, de conviction et d’incarnation par de si jeunes interprètes, ce sont non pas un mais deux noms qui sont distingués : Louise et Jacques, les autres « nominés » étant, par ordre d’apparition, Clémence, Lucas, Renan, Sarah, Solène et Théo. C’est l’effet d’une nouvelle règle, généralisée pour cette 13e édition du jeu, selon laquelle désormais, à partir de deux classes participantes par école, c’est un lauréat et une lauréate qui sont distingués. Ceci afin de corriger un certain biais de genre qui a pu être constaté dans nos écoles, et tend à assigner progressivement le goût des lettres aux filles et la curiosité scientifique aux garçons. Oui, les plaisirs de l’écriture et de la lecture sont décidément l’affaire de toutes et tous, et ce ne sont en leur temps ni Bossuet et Saint-Simon, ni Madame de Sévigné et Madame de Scudéry, qui auraient écrit le contraire.
Quant à l’effet « feux de la rampe », laissons Louise, la co-lauréate de Pallu, conclure :
Elle a « trouvé ça trop bien, plus facile, plus excitant dans une vraie salle, devant des gens qu’on ne connaît pas ! » Une étoile est née ?
Patrick Gloux pour Les Petits champions de la lecture
