Les Petits champions ne cessent de susciter des vocations, des initiatives qui prolongent et développent le jeu auprès des jeunes lecteurs et lectrices du cycle 3. Nous partons à la découverte de trois d’entre elles en compagnie d’une responsable de projets culturels, d’une comédienne et d’un auteur jeunesse.
Le succès fulgurant des Petits champions de la lecture — + 37% de classes participantes pour l’édition 2024-2025 ! — auprès des élèves des classes élémentaires partout en France et désormais des écoles françaises du réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, doit beaucoup à l’engagement des enseignantes et enseignants aux côtés des auteurs et autrices jeunesse et de leurs maisons d’édition. Rançon du succès, de plus en plus de structures locales s’approprient avec bonheur le projet pour le relayer. Mieux encore, comme le reflète le dynamisme du tissu des bibliothèques et des médiathèques, véritables catalyseurs culturels, elles le prolongent en embarquant au passage dans l’aventure professionnels et lieux du spectacle vivant.
Le rôle pivot des médiathèques
Ainsi à Chelles (Seine-et-Marne, Île-de-France), où un partenariat interculturel s’est noué autour de la médiathèque Jean-Pierre Vernant, associant le Théâtre de Chelles et les écoles de la ville et des villes voisines de Vaires-sur-Marne et de Courtry. Selon Hélène Sagnet, chargée des partenariats culturels de la ville, le jeu « permet de proposer un projet de partenariat fort et durable entre les médiathèques, les écoles et le Théâtre de Chelles. Nous avons créé une dimension inter-établissements en organisant des rencontres entre les classes des différentes villes engagées […]sur notre territoire Paris – Vallée de la Marne. Six classes participent à notre projet et il nous a semblé pertinent d’organiser une finale départementale dans notre médiathèque. »
C’est aussi le cas de la médiathèque du Cantal (Auvergne-Rhône-Alpes), qui recherchait un intervenant au profil d’auteur-comédien pour aller à la rencontre des élèves des classes participantes. Il s’agissait « à la fois de parler des livres, mais aussi d’appréhender la question de la mise en voix de la lecture » précise Guillaume Nail, auteur jeunesse (dernier ouvrage paru : Madou en cinq actes, éd. Milan), romancier, scénariste et comédien, qui a répondu à l’appel avec enthousiasme.
Il raconte. « En tout, ce projet m’a permis d’effectuer une vraie tournée de deux semaines à travers le Cantal, de rencontrer les élèves d’une vingtaine de classes, depuis les petites écoles à classe unique de 10 élèves de la montagne aux écoles des chefs-lieux. C’est un des enjeux du projet : au-delà de l’aboutissement des efforts faits en classe, pour de nombreux enfants un peu éloignés des espaces culturels, la finale départementale est l’occasion de prendre le car pour aller rencontrer les élèves des « grandes » écoles d’Aurillac et de Murat, dans le partage de ce plaisir commun, la lecture. »
Le plaisir avant toute chose
Plaisir, c’est le maître mot pour Guillaume Nail. « Lire à voix haute, c’est d’abord le plaisir d’échanger, de discuter, de rire avec les textes qui sont proposés, dans la joie de partager le plaisir de la lecture. » Outre les échanges sur son métier d’auteur, sur le choix des thèmes et des personnages de ses ouvrages et, plus inattendu, sur la fabrication d’un livre —un mystère pour beaucoup—, Guillaume à son tour a pu questionner les enfants sur la meilleure façon de trouver du plaisir à lire à voix haute, et mettre en pratique certains conseils déjà prodigués sur la plateforme des Petits champions : » des trucs de respiration, de gestion du stress, de rythme de lecture, de placement du corps, d’occupation de l’espace… du coup même les élèves a priori moins habiles en lecture se portent volontaires, et ce ne sont pas forcément les « bons élèves » qui font les meilleurs lecteurs, mais plutôt les plus volontaires. »
Un constat partagé par Aurélie Babin, comédienne membre de la troupe de l’Aparté, qui intervient fréquemment en milieu scolaire auprès des élèves des écoles du département du Gard (Occitanie). Pour elle, l’intervention auprès des élèves a notamment pour enjeu de redonner à toutes et tous les mêmes outils pour lever les freins à la lecture en public, « en particulier les petites filles, qui sont généralement de meilleures lectrices, mais qui souvent n’osent pas trop monter la voix. » L’occasion donc de permettre aux unes et aux autres de rétablir une certaine parité.
On commence par la posture, et on finit par « c’est quoi le temps ? »
Après un premier test l’an passé de deux fois une heure auprès de 2 classes de l’agglomération de Gardanne (Bouches-du-Rhône, Provence-Alpes-Côte d’Azur), la compagnie a proposé cette année un travail plus approfondi en 7 séances sur 3 classes, chaque séance dédiée à une thématique précise pour que les enfants puissent petit à petit apprivoiser la prise de parole et la lecture à voix haute. « On commence par la posture, les déplacements, le regard. C’est concret, ludique, ça les met en confiance. On travaille aussi sur la respiration, essentielle. Puis on aborde des questions qu’on ne se pose pas d’habitude : c’est quoi le débit ? C’est quoi le volume ? C’est quoi le temps ? L’idée, c’était que chacun puisse passer s’essayer devant les autres ; le public lui aussi s’essaye, participe, avec la mission de proposer des améliorations sur le regard, la posture… »

La lecture à voix haute comme révélateur
Autre atout de la lecture à voix haute : elle permet de repérer les problèmes qui peuvent facilement passer inaperçus. « La lecture à voix haute permet de faire ressortir des problèmes d’incompréhension. Très souvent, même des enfants qui lisent très bien en arrivent à prononcer des mots que manifestement ils ne comprennent pas, sans oser en demander la signification. On sent qu’ils les passent comme si ça n’était rien. Tout d’un coup il n’y a plus d’intonation, ils n’arrivent plus à trouver la bonne manière de le dire, le mot sonne tout plat… Une autre de ses préoccupations, c’est l’ignorance de la ponctuation à l’oral, révélatrice d’un manque de maîtrise également à l’écrit. « Beaucoup lisent en se fichant complètement de la ponctuation, ce qui ne pardonne pas à l’oral. Il y a une vraie complémentarité entre l’écrit et l’oral, et je pense très simplement que lire des livres ça fait mieux écrire. »
C’est aussi, pour beaucoup, l’occasion d’exercer son imagination à travers un texte, et de s’affirmer avec ses goûts et sa personnalité à travers son interprétation devant les autres. « Ce que j’aime transmettre avant tout, c’est le goût de s’inventer, » dit Guillaume Nail. « Comment on arrive à trouver sa place, à sortir des injonctions, des enfermements, à s’autoriser à être soi. Dans le cadre des petits champions, on peut dire à chaque gamin de partir de ses goûts à soi et de faire sentir ce plaisir qu’il a de lire auprès du public. La lecture permet à chacun de s’entendre dire : « tu n’as pas à renier qui tu es ou à te laisser enfermer dans une case ».
…
Et les murs de la classe S’écroulent tranquillement.
Et les vitres redeviennent sable L’encre redevient eau
Les pupitres redeviennent arbres La craie redevient falaise
Le porte-plume redevient oiseau.[1]
Car comme le suggèrent ces échanges avec des professionnels du texte, en plus d’un formidable outil pédagogique de maîtrise de la langue d’ « empouvoirement », la lecture à voix haute se révèle aussi une merveilleuse clef pour libérer la faculté de tout un chacun à rêver, à comprendre et à s’exprimer.
Patrick Gloux pour Les Petits champions de la lecture
Source : [1] Extrait de « Page d’écriture », Jacques Prévert, Paroles, Le Point du jour 1946 – Gallimard 1949